L’achat « local » au Québec : comment en faire un succès?

28 Jan 2021 Alain Giguère

Par : agiguere@crop.ca
L’achat « local » au Québec : comment en faire un succès?

Une occasion d’affaires à ne pas rater!

Portrait Alain Giguère

ALAIN GIGUÈRE

PRÉSIDENT, CROP

Une tendance de fond émergeait déjà. Au cours de dernières années, l’achat local est devenu un critère très important pour près d’un consommateur sur trois au Québec, lesquels sont disposés à payer (un peu) plus cher pour bénéficier de cette « valeur ajoutée ». 

Or, il est intéressant d’observer que malgré l’initiative du gouvernement Legault, nos derniers indicateurs en 2020 sur le sujet (cueillette des données en mai et en juin) n’ont pas permis d’enregistrer de saut vraiment significatif à ce mouvement, qui était déjà bien amorcé. La tendance se maintient, pourrait-on dire tout simplement. L’initiative gouvernementale du printemps dernier était certainement très opportune, mais sa mise en œuvre, pour en faire un mouvement de masse, manquait de moyens. 

Tout en espérant que le Panier Bleu puisse éventuellement contribuer à faire une différence dans l’accessibilité aux produits locaux, ce marché sera certainement en croissance au cours des prochaines années : il représente de formidables occasions d’affaires pour ceux qui sauront bien s’y positionner.

Car on peut bien s’afficher comme « local », mais le consommateur qui s’intéresse à ces offres y investit un certain nombre d’attentes qui sont le reflet de leurs cordes sensibles. Il y a certainement une opportunité à en tenir compte.

 

Cinq grands thèmes qui motivent les consommateurs intéressés par les produits locaux

En effet, les offres « locales » rejoignent des consommateurs dont les caractéristiques sont très particulières. Beaucoup de consommateurs partagent ces mêmes cordes sensibles sans nécessairement avoir été éveillés aux produits locaux. Si on met bien en relief ces thèmes dans le positionnement de ces derniers, nombreux sont les nouveaux consommateurs qui pourraient s’y intéresser.

 

1. L’âme, le mythe fondateur

Derrière la plupart des produits locaux, il y a quelqu'un qui a investi tout son être, sa passion, son rêve. Il y a une histoire, un mythe fondateur. Le produit (ou le service) a une âme. Le consommateur le ressent. Mieux, il le souhaite. Il veut qu’on lui raconte cette histoire. Il va consommer tant l’histoire que le produit lui-même. La proposition de valeur de la marque doit intégrer tant l’offre concrète, pratique et utilitaire que l’histoire humaine, le rêve dont elle est issue. Le consommateur veut acheter les deux et il est disposé à payer pour le tout.

À la limite, la « localité » est presque peu importante : c’est le mythe qui compte, même si le « local » ajoute quand même un élément de fierté (le consommateur ressent une appartenance à ce « local », dont ce mythe est le fruit). 

Et cette mythologie n’est pas exclusive à de très petites entreprises. Une PME d’envergure peut s’intégrer à cette tendance, à condition qu’elle soit issue d’un mythe fondateur authentique, et dont la mission d’origine demeure pertinente pour le consommateur d’aujourd’hui.

Il faut donc raconter cette histoire, la faire connaître. S’en servir pour légitimer la pertinence tant originale qu’actuelle de l’offre pour le consommateur. Il faut vendre le mythe fondateur autant que le produit ou le service lui-même.

 

2. Une identité « glocale »

Souvent, ces offres authentiques s’inscrivent dans des tendances qui sont planétaires, « globales », tout en devenant des expressions « locales » de ces tendances (d’où le « glocalisme »). Qu’on pense à l’agriculture urbaine par exemple. On s’y réapproprie la production alimentaire, on crée un impact sur les milieux de vie et sur la biodiversité en ville. On transforme la ville et on fait découvrir aux citoyens ce qu’est une ferme!

Ces initiatives explosent partout dans le monde et sont parfaitement bien enracinées chez nous, chez nos producteurs locaux. Elles sont « glocales ».

Or, de plus en plus de consommateurs veulent se sentir partie prenante de cette « glocalité ». Tout en se sentant profondément enracinés dans leur région, leur localité, ils se sentent aussi citoyens du monde. Ils se sentent en connexion avec des mouvances planétaires auxquelles ils ont l’impression d’appartenir.

Ainsi, acheter des produits qui s’inscrivent dans de telles mouvances gratifie encore davantage le consommateur qui s’intéresse aux produits locaux. Il y trouve une légitimité supplémentaire.

Donc, si de manière authentique, on peut trouver une mouvance planétaire dans laquelle peut s’inscrire la proposition de valeur du produit (ou service) local, il y a certainement opportunité de le proclamer haut et fort. Encore une fois, le consommateur est prêt à payer pour cette valeur ajoutée.

 

3. Un engagement écologique et social

Ce thème peut sembler évident, parce que c’est habituellement le cas avec ce genre d’offres (bio, équitable, etc.). Mais encore une fois, il faut le proclamer haut et fort. Le consommateur de produits locaux s’attend à ce que ces « critères » fassent partie intégrante de l’offre. Particulièrement les vertus écologiques : les gens prêtent une attention grandissante à la diminution de leur empreinte carbone.

Voilà une tendance qui s’impose comme critère d’achat chez une proportion grandissante de consommateurs, sans que ces derniers soient tous de fervents adeptes de produits locaux. Les vertus écologiques des produits locaux représentent donc certainement une opportunité de croissance.

Malheureusement on ne peut pas en dire autant des vertus sociales et communautaires de ces offres. Elles doivent faire partie du « mix-produit », car l’adepte actuel de produits locaux y tient. Mais elles ne représentent pas nécessairement un axe de croissance (enfin, c’est ce que nos données nous disent).

Ainsi, il est important de mettre de l’avant les vertus écologiques, sociales, éthiques et durables des produits locaux. Il s’agit là d’un critère d’achat primordial pour les clientèles intéressées.

 

4. L’innovation technologique

Même si cela peut paraître contre-intuitif, le segment de marché qui s’intéresse aux produits locaux est aussi fortement stimulé par l’innovation technologique. L’idée qu’on a aujourd’hui de nouveaux outils, plus performants, qui transforment notre rapport à la nature, qui nous permettent de faire mieux à moindre coût, fascine ces consommateurs. Ils espèrent que l’innovation pourra nous donner davantage d’emprise sur nos vies, améliorer notre sort, permettre l’éclosion de nouvelles entreprises ou de procédés qui n’auraient pas été possibles il n’y a pas si longtemps. 

Que ce soit en agriculture ou dans le domaine manufacturier, ces innovations donnent de l’élan. Elles font aussi partie du mythe sur lequel se fonde le produit ou le service local en question.

Ainsi, si c’est le cas, si on peut en faire la démonstration, si un apport d’innovation fait partie prenante de la proposition de valeur du produit local que l’on veut promouvoir, encore une fois, il faut le dire haut et fort.

 

5. La valeur ajoutée

Enfin, et ce n’est pas la moindre des caractéristiques, le produit local représente certainement une « valeur ajoutée ». Le consommateur est prêt à payer plus cher, afin que l’on réponde aux critères d’achat que ce produit local lui inspire. Que les fromages québécois coûtent plus cher, comparativement à l’offre pléthorique de fromages français qui sont disponibles, tant mieux. Surtout si, au Québec, on a une histoire à raconter. Une histoire qui résonne en nous, qui nous fait vibrer.

Il est clair que plus une offre locale saura répondre à une combinaison optimale des critères ci-haut énoncés, plus elle justifiera une « prime » que le consommateur consentira à débourser. Il payera pour la valeur ajoutée de l’offre présentée. Il n’est pas nécessaire non plus de se positionner sur tous ces critères. Quelques-uns suffiront s’ils sont bien articulés, bien exécutés et bien présentés.

Ainsi, même si le graphique ci-haut présente une tendance nette, nous ne sommes certainement, espérons-le, qu’au début du mouvement. Avec une mise en marché plus stratégique, l’opportunité peut s’avérer considérable.

 

Alain Giguère est président du cabinet de recherche-conseil Crop. Les opinions exprimées dans cette tribune ne sont pas nécessairement celles d’Infopresse.

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