Qu’est-ce qui a le plus changé dans le monde du travail ces dernières années?
Si on pense au bien-être des employés, ce qui a surtout changé, c’est une prise de conscience accrue de la réalité travail-famille et un désir des employeurs d’y répondre adéquatement.
La notion même d’entreprise est aussi en train de se transformer. Une organisation n’est pas un objet en soit; elle est le résultat de plusieurs personnes, ensemble, avec leur vécu. Elle est de plus en plus multigénérationnelle et multiculturelle.
On accorde ainsi aujourd’hui plus de crédit au côté réflexif de la personne. Les gens ne sont pas des robots! Ils écoutent, pensent, réfléchissent et interprètent, et c’est davantage intégré en entreprise. On est moins à l’ère de la production précise du travail, où un employé remplit une série de tâches dans sa case. On reconnaît de plus en plus que la matière première chez un employé, c’est sa tête, son cerveau, que ses tâches soient manuelles ou intellectuelles.
Comment cette nouvelle vision du travail influence-t-elle l’espace?
Si l'on considère un employé comme une personne réflexive, il est alors possible de penser que cette personne est responsable et autonome. L’aménagement à aire ouverte et flexible répond à cette prémisse en offrant différents lieux selon les activités à réaliser.
Donc on revient à mettre l’humain au centre de l’organisation?
«Une entreprise, c’est une entité qui a une âme. Et ce sont les humains qui la composent, avec toutes leurs différences.»
On sent une ouverture de la part des entreprises. Les descriptions de tâches existeront toujours mais, sur le terrain, on commence à réaliser qu’on ne doit pas sectionner le travail d’une façon rigide et penser uniquement à la performance.
J’aime mieux parler de performativité, qui fait référence non seulement à la réalisation de l’organisation, mais également à celle des employés. Une entreprise, c’est une entité qui a une âme. Et ce sont les humains qui la composent, avec toutes leurs différences.
D’où l’importance de consulter les employés lorsque vient le temps de réaménager un espace…
Ce que je constate, c’est qu’on intègre effectivement aujourd’hui davantage les utilisateurs d’un espace dans sa conception. Par exemple, pour les bureaux de Radio-Canada, nous avons composé des groupes d’employés et avons travaillé en amont avec eux afin de mieux comprendre leur vie au travail, comment ils interprètent leur environnement, la relation entre les différentes équipes, etc. C’est le principe de l’entonnoir: les gens qui vont travailler et vivre dans cet espace participent à sa conception.
Qu’entendez-vous par «espace flexible»?
«La flexibilité, ce n'est pas seulement le fait de pouvoir choisir un lieu, c’est également la possibilité de s'approprier deux espaces pour en créer un troisième.»
C’est un amalgame d'espaces de collaboration: des aires ouvertes et des espaces fermés, des espaces entièrement cloisonnés plus intimes versus des espaces avec des murs de verres, différents types de fauteuil et de tables (bistro ou autre), un coin repas commun, etc. Mais la flexibilité n'est pas seulement le fait de pouvoir choisir un lieu, c’est également la possibilité de s'approprier deux espaces pour en créer un troisième.
On fait plutôt la vie dure aux aires ouvertes ces jours-ci…
Pour ma part, je suis assez pro aires ouvertes, puisque la notion de hiérarchie tend à être moins rigide. Je pense aussi que le concept de postes dédiés ou non dédiés comporte des avantages. Cela dit, cela peut convenir à certaines cultures d’entreprises mais à d’autres non. Il y a beaucoup de nuances et de facteurs à considérer…
À l’ère du numérique et du choc des générations, pensez-vous que toutes les entreprises doivent revoir leurs espaces ?
À mon avis, ça devrait être un réflexe récurrent. C’est pour cela que l’aménagement doit être flexible, à l’opposé de statique et homogène. Les besoins varient d’une organisation à l’autre, mais un espace de travail doit pouvoir se modifier.
Les termes «pratique», «opérationnel», «légitime» sont essentiels aujourd’hui. Oui, un espace doit être beau et design, mais la question la plus importante reste: est-ce que cela va aider les employés dans leurs activités? C’est de cet angle que le designer doit voir son travail… Et pour cela, il faut avoir de l’empathie: une qualité importante chez un designer.
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La designer Céline Simard est mordue de design depuis plus de 30 ans. Titulaire d’une maîtrise en design et doctorante en management, elle détient une solide expérience en design d’entreprise notamment pour Bell Canada et pour l’ensemble des bureaux de Radio-Canada au pays. Le 6 novembre, elle participera à la table ronde «Transformation du monde du travail : quels impacts sur l’aménagement», tenue dans le cadre de la journée-conférences Index-Design RDV/Le bureau de demain, produite par Index-Design et présentée par Céragrès.
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Photo: bureaux Ubisoft, édifice de Gaspé – crédit : Dominik Gravel