Il suffit de s’intéresser à l’actualité chez nous et dans le monde pour se rendre compte des dangers sociaux et environnementaux qui nous guettent. Dans ce contexte multi crises, les entreprises font face à un défi vertigineux : la disparition du monde stable et prévisible que nous nous sommes efforcés de bâtir depuis l’après-guerre. C’est d’autant plus déroutant que c’est notre modèle même de société, basé sur la croissance infinie dans un monde fini, qui est la cause de sa propre déstabilisation!
Dès lors, le constat est implacable : si les entreprises veulent survivre à moyen et long terme, elles doivent anticiper ces mutations et se transformer de manière radicale. Bonne nouvelle : en tant que trait d’union entre les marques et leurs client·es, les professionnel·les en communication-marketing ont un rôle crucial à jouer dans cette nécessaire adaptation de nos modes de production et de consommation.
Trop peu de gens le savent et pourtant nous avons dépassé depuis 2022 six limites planétaires sur neuf (source), à savoir le changement climatique, la biodiversité, l’utilisation des sols, le cycle de l’eau douce, la pollution plastique ainsi que le cycle du phosphore et de l’azote. Le concept des limites planétaires définit “un espace de développement sûr et juste pour l’humanité, fondé actuellement sur neuf processus biophysiques qui, ensemble, régulent la stabilité de la planète” (source). Bref, dépasser ces limites planétaires n’est en rien une bonne chose pour notre avenir!
Le concept de “jour du dépassement” est également assez efficace pour nous faire comprendre à quel point notre modèle de société va dans le mur : cette année, c’est le 2 août que nous avons dépassé la consommation de ressources que la Terre est capable de régénérer en un an tout en absorbant ses déchets. En passant, Radio-Canada souligne que “le Canada est un cancre du classement, [il] est l’un des pays qui a consommé ses ressources le plus rapidement, alors que son « jour du dépassement » a été atteint le 13 mars (source)”.
Mais quel est le rapport avec les entreprises et leurs légitimes priorités financières, me direz-vous? Prenons le temps d’explorer du point de vue économique certaines conséquences concrètes de notre “appétit sans borne pour une croissance économique effrénée et inégale” que fustigeait le secrétaire général des Nations-Unies Antonio Guterres en décembre 2022 lors de la COP15 à Montréal (source).
Face aux catastrophes écologiques qui se succèdent, de plus en plus de personnes prennent conscience de l’importance d’adopter un mode de vie responsable, à commencer par leur façon de consommer. Leurs attentes envers la responsabilité sociale des entreprises sont élevées. Et même si les bottines des consommateur·trics ne suivent pas toujours leurs babines, la tendance est bien là et elle s’accroît d’année en année. Par exemple, d’après le Baromètre de l’action climatique 2022, 84% des Québécois·trices déplorent le manque d’action climatique des entreprises (source).
Par ailleurs, les employé·e·s accordent une importance grandissante au sens de leur travail, notamment depuis la pandémie (source). Pour attirer et retenir les talents, surtout dans le contexte actuel de pénurie de main-d’œuvre, il est nécessaire pour une entreprise de s’interroger sur sa raison d’être et sa culture ainsi que sur les impacts sociaux et environnementaux de ses activités.
Cette tendance n’est pas nouvelle, mais elle s’accélère : les entreprises doivent désormais montrer patte blanche pour obtenir des financements. On parle ici entre autres des fameux critères ESG (Environnemental, Social, Gouvernance), encore imparfaits certes, mais qui prennent de plus en plus de place dans le monde de la finance. A ce sujet, il est fondamental pour les dirigeant·es de s’intéresser aux travaux de l’ISSB (International Sustainability Standards Board), dont le bureau nord-américain est à Montréal et qui a pour but d’encadrer l’information des entreprises en matière de durabilité. Il est important de rappeler ici que l’ISSB dépend de l’IFRS (International Financial Reporting Standards) qui définit les normes comptables internationales.
Traduction : il est plus que probable que les entreprises devront bientôt ajouter dans leurs états financiers des informations sur leurs impacts sociaux et environnementaux. Si vous en doutez, je vous suggère la lecture de cette note du cabinet Fasken publiée en juin 2023.
En effet, en matière de législation sur les pratiques sociales et environnementales, il ne faut pas se demander “si” mais “quand”. Les entreprises vont être forcées par la loi d’adopter des pratiques plus durables, c’est inéluctable. Et pour savoir à quelle sauce on va se faire manger, il est intéressant de jeter un oeil à ce qui se fait en France depuis quelques années :
Notre système économique repose sur des principes qui ont atteint leurs limites et qu’il faut ré-inventer d’urgence. C’est évidemment plus facile à dire qu’à faire car il s’agit ici de redéfinir de A à Z les fondements de notre modèle de production et de consommation tel qu’il a été bâti depuis les années 50. Prenons quelques exemples concrets pour s’en convaincre.
A l’instar du PIB, la consommation énergétique mondiale croît de manière exponentielle et il est frappant de constater que les énergies fossiles (pétrole, gaz et charbon) représentent depuis plusieurs décennies plus de 75% du mix énergétique mondial (source). Cela signifie que malgré l’apparition de nouvelles sources d’énergies décarbonées telles que l’hydroélectricité, le nucléaire, l’éolien ou le solaire, celles-ci demeurent marginales en valeur relative. En d’autres termes, nous sommes très loin de la fameuse “transition énergétique” dont on entend parfois parler.
Ce constat pose un double problème :
Savez-vous qu’il faut plus de cinquante métaux différents pour fabriquer un téléphone intelligent (source)? Plus généralement, ces matières premières issues de l’extraction minière sont cruciales pour la fabrication de tous nos produits électroniques ainsi que des batteries ou des panneaux solaires indispensables à la transition énergétique. Or, certains de ces métaux sont rares ou, même quand on les trouve de manière abondante, ils ne sont extraits et/ou raffinés que dans certains pays en raison des dégâts écologiques et de la pollution que ces opérations génèrent. Le contrôle de ces matières premières est devenu un enjeu stratégique et géopolitique.
Nous en avons un exemple récent sous les yeux puisque la Chine, en représailles aux mesures imposées par les États-Unis sur les semi-conducteurs, a annoncé cet été des restrictions sur les exportations de gallium et le germanium dont elle représente respectivement 94% et 83% de la production mondiale (source).
L’inquiétude est de mise : que pensez-vous qu’il se passera pour les manufacturier·ères canadien·nes si la Chine décide de bloquer ses exportations de matières premières pour les réserver à ses entreprises et à son marché intérieur de plus de 1.4 milliards d’habitant·es?
La pandémie de Covid-19 a mis en évidence l’extrême fragilité de notre chaîne d’approvisionnement mondialisée. A force de (sur)optimiser nos chaînes de production et de maximiser la division internationale du travail, nous avons créé un système performant (dans des conditions favorables) mais peu résilient. Il a suffi que quelques usines chinoises ferment leurs portes ou ralentissent leur cadence pour que nous nous retrouvions dans les pays occidentaux avec des pénuries de vélos ou de longs mois d’attente pour obtenir une voiture neuve.
Dans ce contexte d’interdépendance extrême, nos entreprises sont très exposées à la guerre économique qui se joue actuellement entre les États-Unis et la Chine. Ce n’est d’ailleurs pas un hasard si de nombreux pays, les États-Unis en tête avec leur Inflation Reduction Act, mènent une politique volontariste afin de se réindustrialiser (source).
J’y vois de belles opportunités d’affaires pour les compagnies québécoises et canadiennes. Surtout que des solutions existent pour leur permettre de devenir plus résilientes, voire régénératrices, et c’est là que les professionnel·les du marketing et des communications ont un rôle à jouer.
Commençons par reconnaître que notre industrie fait actuellement partie du problème en tant qu’agent de la surconsommation. Car ce que j’ai appris dans mes cours de marketing à l’université puis ce que j’ai mis en pratique pendant 15 ans dans ma vie professionnelle se résume en trois mots : vendre, vendre, vendre.
Pour en savoir plus sur l’empreinte carbone de la surconsommation générée par la communication commerciale, qui représente 16% des émissions de GES d’un ménage québécois, je vous invite à consulter l’étude sur “les Émissions de l’influence publicitaire” publiée par MASSE CRITIQUE en février 2023 (source).
Pourtant, nous, les professionnel·les du marketing et la communication, avons toutes les cartes en main pour faire partie de la solution et devenir des acteur.ice.s de changement positif.
Notre première responsabilité est de promouvoir les principes du marketing durable (ou marketing responsable), dont le fondement est l’alignement de la raison d’être d’une entreprise avec des enjeux sociaux et/ou environnementaux.
Le marketing durable consiste en une démarche proactive et un processus qui créent de la valeur d’une façon combinée et systématique (1) pour l’entreprise, (2) pour le·la consommateur·trice, et (3) pour l’environnement et la société.
Concrètement, il se traduit par l’intégration des enjeux de durabilité au cœur de la vision stratégique de la marque et se concrétise à travers les différentes dimensions du marketing- mix. Aussi, le marketing durable exige l’accompagnement des consommateur·trices pour tendre vers des pratiques de consommation durable. En passant, c’est aussi le meilleur moyen de se prémunir contre le greenwashing ou écoblanchiment, qui exige d’une marque transparence et authenticité.
Les professionnel·les du marketing et de la communication ont un fort pouvoir d’influence sur la stratégie d’affaires de l’entreprise, sur son modèle d’affaires ainsi que sur son offre de produits et services. Nous devons mettre notre créativité et notre connaissance pointue des client·es au service de nouveaux modèles d’affaires régénérateurs, par exemple en s’inspirant des mécanismes de création de valeur circulaire :
En particulier, j’encourage tous les détaillant·es à tester de nouveaux modèles tels que la location ou la vente de produits d’occasion qui sont de plus en plus en vogue en Europe. Après avoir mené une expérimentation en Belgique du modèle d’abonnement à la Spotify pour l’ensemble de ses produits de sport (hors alimentaire), Décathlon s’apprête à le déployer à plus grande échelle. On les comprend : d’après les premiers résultats de ce projet pilote We Play Circular, non seulement les performances environnementales sont excellentes, mais la rentabilité financière est potentiellement dix fois supérieure à celle de leur modèle (linéaire) traditionnel (source)!
A travers ses créations publicitaires, l’industrie comm-marketing a une grande responsabilité dans la conception et la diffusion de narratifs auprès du grand public. Or ces narratifs ont une vraie influence sur les récits collectifs et les imaginaires qui nous habitent et qui guident (en partie) nos comportements de citoyen·nes et de consommateur·trices.
Dit de manière plus abrupte : il faut arrêter de proclamer que le bonheur, c’est de posséder un plus gros VUS que son voisin, que la réussite, c’est d’acheter chaque année le dernier iPhone ou encore que plus on voyage loin et plus nos vacances sont réussies. Au contraire, il est grand temps d’appliquer les principes du marketing durable et de rendre désirables des modes de vie plus responsables. C’est d’autant plus important que les individus sont plus conscients et épanouis quand ils sortent de la “Matrice” de la surconsommation.
Quel rôle voulons-nous jouer : serons-nous des complices cyniques, des observateur·trices passif·ives ou bien des agent·es de changement engagé·es? Posez-vous la question lorsque vous passerez votre prochaine entrevue d’embauche ou que vous recevrez un nouveau brief client.
Plus que jamais, nos super pouvoirs de communicant·es sont nécessaires pour d’une part transformer les entreprises afin de créer de la valeur économique, sociale et environnementale et d’autre part sensibiliser la population aux dangers inhérents à nos modes de vie.
Ce ne sont pas de minces défis, d’autant plus qu’ils exigent de nous des changements radicaux: désapprendre nos pratiques passées, développer de nouvelles compétences et réinventer les règles du jeu. C’est la mission du collectif OBNL MASSE CRITIQUE : provoquer la transformation durable et responsable de l’industrie des communications par l’éducation et la co-création de nouveaux standards. Nous aurons la chance de traiter de tous ces sujets lors du premier Sommet communication-marketing à impact social du 27 septembre : nouveaux modèles d’affaires guidés par l’impact, lutte contre l’écoblanchiment, numérique responsable, éco-socio-conception de campagnes marketing, inclusion et bien sûr nouveaux imaginaires!
Je ne pense pas qu’il existe une cause plus noble et plus mobilisatrice que de contribuer à faire advenir une société plus juste et en harmonie avec la planète. Alors, vous embarquez?